Rapport d'enquête sur la méthanisation
Une commission d’enquête parlementaire met l’accent sur les aspects négatifs de la méthanisation
L’Assemblée nationale a réuni une commission d’enquête consacré à l’impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, à la transparence des financements et à l’acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique. La séance du 20 juin 2019 a été consacrée à la méthanisation. la méthanisation a été présentée comme la solution permettant au gaz de passer de la catégorie des énergies fossiles – le gaz naturel importé – à celle des énergies renouvelables – le biogaz produit en France – tout en offrant aux agriculteurs une source complémentaire de revenus. Mais, au fil des travaux de la Commission, plusieurs interrogations sur l’impact environnemental de la méthanisation sont apparues, notamment celles portant sur la qualité des intrants, leur disponibilité, la concurrence éventuelle au détriment par exemple des surfaces destinées aux cultures alimentaires ou encore celles portant sur la prévention des nuisances qu’il s’agisse de la qualité de l’air, de l’eau ou des sols.
Madame Anne Danjou, membre du collectif national vigilance méthanisation (CNVM) a donné des exemples des aspects négatifs de la méthanisation. Il y a, selon elle, deux raisons aux dérives de la méthanisation. D’une part, les unités de méthanisation sont en autosurveillance et peuvent ne faire l’objet d’aucun contrôle pendant des années. D’autre part, les services de l’État – directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL), directions départementales de la protection des populations (DDPP) et autres – ferment les yeux au prétexte que – selon, paraît-il les termes d'un ancien sous-préfet – « la méthanisation, c’est la politique de la France, il va falloir vous habituer ». En cas d’appel au secours des populations, les services de l’État, dont ce serait la responsabilité, ne se sentent pas concernés.
Un exemple valable pour toute la France et relatif à Valdis à Issé en Loire-Atlantique : monsieur le maire fait part de sa déception concernant la méthanisation qui, lui avait-on dit, ne devait pas engendrer de nuisances olfactives. Devant l’absence d’installation du bio filtre prévue dans l’arrêté, Mme Fadda, inspectrice des installations classées, rappelle que ces prescriptions incombent en priorité à l’exploitant, notamment au titre de l’autosurveillance. Le sous-préfet indique que l’autosurveillance est la règle générale en matière d’installation classée et qu’elle n’a pas à être assurée par les services de l’État. On aurait été en droit de s’attendre à une réaction indignée de l’inspectrice et du sous-préfet : c’est en effet le bio filtre qui manque à l’appel. Or, pas du tout ! C’est un exemple, et nous en avons des dizaines. De nombreuses unités de méthanisation ne respectent donc ni leur arrêté d’autorisation, ni l’article L. 511.1 du code de l’environnement censé protéger les populations et l’environnement. Ils savent qu’ils n’auront pas de sanction.
À Soudan, en Loire-Atlantique, vingt-trois veaux sont morts dans les 48 heures suivant leur naissance. Le forage d’eau potable, à 47 mètres de profondeur, est contaminé par des coliformes, bactéries d’origine fécale qui passent dans le lait. En cause, un méthaniseur, ses jus et ses fosses. Les analyses de 2018, suite à la mort des veaux, présentaient un taux de coliformes inférieure à un. Un an après, en juin 2019, il y a quelques jours, malgré tous les travaux effectués en surface pour mettre fin à la pollution, les coliformes sont à huit. La nappe profonde est contaminée.
Depuis 2017, les trois moteurs de cogénération de Valdis à Issé, Loire-Atlantique, dégazent plus de NOx et la torchère plus de CO2 qu’il n’est autorisé. Dans les deux cas, il n’y a pas de réaction de la DDPP sauf suite à l’intervention des associations.
« La méthanisation un cercle vertueux », nous annoncent les agences de l’État. Concernant les intrants, il y a toutes sortes d’abus. Entre ceux qui viennent de l’Allier ou du Haut-Rhin – 1 700 kilomètres aller-retour – de Rungis – 600 kilomètres aller-retour – ou les hectares de maïs irrigués qui finissent dans un méthaniseur en pleine période de sécheresse.
Nuisances olfactives provoquées par le digestat
Autre exemple de dérive, les digestats, dont les agences de l’État et les sociétés de conseil disent et écrivent qu’ils ne sentent rien, qu’ils sont inertes et stables, sans gaz, alors que partout en France du nord au sud, de l’est à l’ouest, les populations voisines de méthaniseur, zones de stockage, zones d’épandage s’en plaignent fortement mais ne sont jamais entendus. Dans certaines unités, les déchets ne restent que trente à quarante jours dans le méthaniseur quand d’autres unités les laissent jusqu’à 14 jours. Le digestat n’est pas mature à 50 jours : il est encore chargé en gaz. Si l’on veut protéger les populations et l’environnement, il faut imposer une durée de séjour des déchets longue et obligatoire pour tous les méthaniseurs. C’est une mesure de santé publique.
La mission a également auditionné Daniel Chataigner, professeur des universités. Il doute de la bonne qualité du digestat : « À la sortie du méthaniseur vous avez le digestat. Cela représente 90 % de la masse entrante. Les 10 % restant sont effectivement du gaz qui contient à peu près 60 % de méthane. Finalement, le système est très peu efficace. Donc si vous avez 10 000 tonnes d’intrants, vous avez 1 000 tonnes de gaz et 600 kilogrammes de méthane. C’est une moyenne qui dépend des intrants. Les 90 % restants, c’est le digestat. Cela représente 9 000 tonnes de digestats. C’est énorme et il faut savoir quoi en faire. Dans ces 9 000 tonnes de digestat, vous avez à peu près 1 000 tonnes de digestat solide et qui est aujourd’hui ce qu’on nous vend comme un très bon fertilisant. Le digestat qui reste, les 8 000 tonnes, c’est du digestat liquide, principalement de l’eau ammoniacale à faible concentration, mais avec un pH de 8,5 ou 9, trop élevé pour que n’importe quel micro-organisme puisse y vivre correctement. Et ce digestat liquide, on va l’épandre. Cette eau ammoniacale est constituée d’ions à base d’azote que l’on nous vend comme un bon substituant aux engrais chimiques.
Ce n’est pas vrai, pour deux raisons : d’abord c’est un engrais chimique, ce n’est donc pas un substitut. Ensuite, c’est un mauvais engrais parce qu’il est – Sandrine Le Feur le disait bien – très lixiviable. En réalité, si vous voulez « booster » le métabolisme de la croissance des plantes il faut amener à la fois des ions ammonium, que l’on trouve dans le digestat liquide, et des ions nitrates. Là, la plante en profite. N’importe quel bouquin de première année d’université peut vous le montrer. Dans le digestat liquide, il n’y a que l’ammonium et il a tendance d’une part à s’évaporer fortement et d’autre part à filer dans les nappes. Il est très peu retenu par les plantes s’il est tout seul.
Et en même temps, il a participé à tuer une certaine partie de la faune du sol qui aurait pu permettre une décomposition et une absorption par les plantes : ce sont des bactéries ou des champignons. Donc le digestat liquide, si on l’épand, il tue la faune, la microfaune du sol même la macrofaune et il s’infiltre. S’il s’infiltre, il va s’oxyder à terme dans les nappes phréatiques et il créera des nitrates comme on le voit en Bretagne maintenant de plus en plus souvent et de plus en plus tôt dans la saison. Le reste va s’évaporer en créant des particules fines, des NOx – celles émises par les diesels et que l’on souhaite éviter – et il va aussi créer du N2O par oxydation dans l’air. Ce N2O a un pouvoir de réchauffement global qui est 300 fois plus fort que celui du CO2. Donc une partie infime d’évaporation de ce digestat liquide que l’on a épandu rend la balance très négative d’un point de vue environnemental.
Évidemment, tout cela n’est pas pris en compte dans les calculs lorsqu’on propose un projet parce que c’est impossible à calculer cela. Cela dépend de l’histoire du sol. L’ADEME, dans ses calculs, fait l’hypothèse de la neutralité carbone. Or, tout ce que l’on brûle met des années, des dizaines d’années, voire des siècles à être réincorporé dans les sols. Il y a un gros problème de calcul. Les méthaniseurs n’ont pas une balance positive d’un point de vue gaz à effet de serre. Il faut le dire et l’écrire car les calculs transmis par l’ADEME ne prennent pas en compte les bonnes hypothèses. Au mieux, cela peut être neutre. Mais avec les fuites, avec certains problèmes d’épandage, cela ne peut pas l’être. Si on veut respecter le projet de remplacer tout le gaz en 2050, on va nous conduire à construire 10 000 ou 15 000 méthaniseurs moyen. C’est impossible : avec un méthaniseur tous les 3 kilomètres, on n’aurait pas assez de surface pour avoir les intrants ».
Perte de la valeur des maisons pour ceux qui vivent à proximité
Il existe un nouveau type de preneurs d’otages dont on commence à voir les effets : les méthaniseurs. Les riverains des unités de méthanisation ne sont plus libres de partir vivre ailleurs simplement parce qu’ils ne peuvent plus vendre leur maison. Pour faire cesser ces situations, il faut imposer de grandes distances d’éloignement des habitations riveraines et des sanctions financières exemplaires à tous ceux qui enfreignent leur arrêté d’autorisation et ne respectent pas le code de l’environnement. Pollution de l’eau, de l’air, des terres nourricières : lorsque ces situations sont récurrentes, des fermetures de sites s’imposeraient. Des lois ou des décrets doivent aller dans ce sens pour permettre au gouvernement de prendre des mesures et d’exiger des préfets leur application.
Un coût public justifié ?
Concernant l’aspect agro-industriel de la méthanisation, on peut tout d’abord se questionner sur la pertinence de l’utilisation des fonds publics. Les projets sont fortement subventionnés par l’État et des collectivités territoriales, à hauteur de 15 % à 20 %, et sans contrepartie du type actionnariat par exemple. De plus, les exonérations de taxes sur le foncier bâti et non-bâti, de contribution foncière des entreprises, etc., ne sont pas payées par ces exploitations de type agricole. Par ailleurs, les collectivités locales, le plus souvent, ont des portefeuilles relativement minces et doivent s’occuper par exemple de l’entretien des voiries. Un méthaniseur agricole génère le passage de 13 000 camions par an. Pour les subventions, c’est 1,7 million d’euros de subvention pour 2,5 emplois créés. Quelle est la retombée locale d’une telle industrie sachant que la plupart des communes ne sont pas connectées au réseau de gaz car trop petites ?
Revoir la distance minimale par rapport aux habitations
La distance légale est de 50 mètres. Il y a des préfets qui commencent depuis peu à refuser des méthaniseurs à 60 mètres. Pourquoi met-on des méthaniseurs près des villages ? Quand on se promène dans nos campagnes, on constate que, souvent, les villages sont au niveau des nœuds routiers. Donc, si vous voulez être proche de plusieurs sources d’intrants qui viennent de loin, vous vous installez près des nœuds routiers. Deuxièmement, les méthaniseurs sont construits en zone agricole. Le plus souvent, les zones agricoles situées au ras des communs ne sont pas forcément celles qui produisent le plus. Le foncier n’est pas cher, notamment en raison de l’absence de ligne de gaz et cela peut permettre d’acheter des terres à un bas prix.
Concernant les distances, il faudrait sans doute prendre en compte la capacité du méthaniseur et celle des infrastructures routières. Un des intervenants donne l’exemple de son village de la Marne où j’habite : un poids lourd passe toutes les une minute treize. La nuit ou le dimanche soir, c’est un toutes les deux minutes dix. Il faut absolument réfléchir en termes d’infrastructures routières, de présence de la population et de tonnage. Plus les méthaniseurs sont gros plus il faudra les éloigner, réfléchir à l’application de la norme IED (directive sur les émissions industrielles). Il existe des possibilités de se rapprocher mais elles coûtent très cher. Il faudra mettre en balance le bien-être des citoyens et la rentabilité de ces structures.
AJDD 25 juillet 2019
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